mardi 15 avril 2014

Bourgogne : LVMH rachète le Domaine du Clos des Lambrays

LVMH annonce l'acquisition du Domaine du Clos des Lambrays, l'un des plus anciens et prestigieux domaines viticoles de la Bourgogne, situé à Morey Saint Denis. Avec une superficie de 8,66 hectares d'un seul tenant, le Clos des Lambrays est le premier Grand Cru de la côte de Nuits. Le Domaine produit également des Morey Saint Denis Premier Cru et de grands vins blancs en Puligny Montrachet Premier Cru 'Clos du Cailleret' et Premier Cru 'Les Folatières'.
C'est l'annonce que le monde du vin attendait depuis des mois. Quel nouveau domaine de prestige allait tomber dans l'escarcelle d'un de nos grands patrons ? Après Bordeaux et la Champagne, les capitaines d'industrie veulent aujourd'hui acquérir leur propriété viticole, leur "toile de maître" en Bourgogne, sur cette langue de terre large d'à peine 1 kilomètre qui s'étend au sud de Dijon et fait fantasmer les amateurs éclairés de pinot noir et de chardonnay. Fin du suspense. Hier, en début d'après-midi, le groupe LVMH rendait publique l'acquisition du Clos des Lambrays, un domaine de 8,66 hectares situé à Morey-Saint-Denis, une commune qui peut s'enorgueillir des plus beaux noms de la Bourgogne : outre le Clos des Lambrays, on y trouve le Clos Saint-Denis, le Clos de la Roche, le Clos de Tart et une petite partie des Bonnes Mares. Pour les spécialistes, ce petit bout de terroir figure en bonne place parmi les dix plus grands de la Côte de Nuits.
Exclusivement planté de pinot noir, le domaine produit également des Morey-Saint-Denis premier cru et de grands chardonnays en Puligny-Montrachet premier cru Clos du Cailleret et premier cru Les Folatières. 

L'âge moyen de la vigne est de 60 ans, avec des ceps encore productifs qui atteignent 90 ans. Le temps joue en faveur de la qualité du vin de ce domaine. La production annuelle est en moyenne de 35 000 bouteilles, mais connait d'importantes variations selon les millésimes : 43 000 bouteilles furent produites en 1999, et seulement 15 000 en 2012. Domaine historique, le Clos des Lambrays apparaît pour la première fois en 1365 dans les titres de l'abbaye de Cîteaux sous le nom de parcelle du "Cloux des Lambrey". En 1789, Il est divisé en 74 propriétés différentes. Il faut attendre le milieu du XIXe siècle pour assister au début de sa réunification. En 1868, Louis Joly aménage la bâtisse construite en 1630. De formidables années vont contribuer à sa notoriété mondiale : 1919, 1923, 1929, 1934... De 1938 à 1979, le domaine connaît une période difficile. Du côté de Morey-Saint-Denis, il est alors surnommé le "Clos délabré", un jeu de mot qui traduit le mauvais état des vignes, mal gérées par ses propriétaires d'alors, les Cosson. Le vrai réveil de la belle endormie survient au moment de son rachat en 1979 par les frères Fabien et Louis Saier, qui investissent dans le domaine. L'oenologue Thierry Brouin arrive sur place un an plus tard, en septembre 1980 : "Quand une vigne est laissée à l'abandon pendant une quarantaine d'années, cela demande ensuite beaucoup d'attention. À mon arrivée, il restait à peine la moitié des pieds. Il a fallu replanter, restructurer le sol." En outre, tous les investissements techniques nécessaires sont alors réalisés. Le classement en grand cru survient le 27 avril 1981, il s'agit du dernier décret signé par Raymond Barre, avant l'ère Mitterrand. Cette distinction aurait dû intervenir plus tôt, mais elle avait été refusée par les anciens propriétaires, qui redoutaient plus que tout ses conséquences fiscales...

Depuis 1996, le domaine était propriété de la famille Freund, des Allemands de Coblence. "Les Freund se sont révélés très peu interventionnistes, mais ils ont continué à investir. Et, à raison d'une caisse consommée chaque semaine, M. Freund est vite devenu le meilleur client de la propriété", s'amuse Brouin. Au fil des années, la qualité des vins tutoie à nouveau les sommets. Günter Freund meurt en novembre 2010. Ruth, sa veuve septuagénaire, ne souhaite pas conserver la propriété, qui est mise en vente. Le ballet des prétendants commence. À l'issue d'une belle série d'entretiens et de visites, le groupe LVMH est choisi pour ses capacités à garantir une continuité dans l'excellence, explique-t-on du côté de l'avenue de la grande armée, à Paris. "Il y avait beaucoup de gens très intéressés par le Clos des Lambrays. Mais LVMH semble le plus capable de garantir la pérennité de l'entité", analyse Brouin. Le montant de la transaction est secret, mais les proches du dossier évoquent une première proposition à 80 millions d'euros refusée par les propriétaires. La valeur du Clos des Lambrays frôle certainement les 100 millions d'euros.

Au-delà du coût stratosphérique de l'hectare de vigne en Bourgogne, le terroir ne se livre pas facilement. Depuis l'achat en 1991 par François Feuillet, le patron de Trigano, de quelques ouvrées (une ouvrée correspond à 1/24 d'hectare) de Nuits-Saint-Georges premier cru Les Thorey, celui du château de Pommard par Maurice Giraud en 2003, et surtout, en 2006, l'acquisition du domaine Engel par François Pinault, suivie de celle, fin 2012, du château de Meursault et du château de Marsannay par Olivier Halley, peu ont réussi à s'offrir le domaine rêvé dans la région. Philippe Pascal, un des anciens bras droit de Bernard Arnault, chercha pendant dix ans le domaine qui lui convenait avant de trouver son Cellier aux Moines, à Givry. Aujourd'hui, les acheteurs sont à l'affût. Bernard Arnault le premier. Il y a peu, ce dernier mettait un terme aux négociations engagées en vue de l'achat du domaine Henri Rebourseau, à Gevrey-Chambertin. Le gérant de la propriété aurait alors décidé de faire monter les enchères au-delà du raisonnable. Avec l'acquisition réussie du Clos des Lambrays, le patron de LVMH peut savourer sa revanche.